Solukhumbu Trail 2010 Étape 6 Phakding - Kongde - Thamé
Solukhumbu Trail 2010 Étape 6 Phakding - Kongde - Thamé
jeudi 18 novembre
Étape 6 : Phakding (2610m) - Thamé (3800m) en passant par Kondé (4150m), 19 km / +2100 m / -900 m
Réveil à 5h30, la nuit a été excellente. Indéniablement l'altitude relativement basse de Phakding (2600m) a un effet bénéfique sur mon organisme. J'ai eu seulement un "night pee walk" contre deux habituellement à plus haute altitude.
Bonne nouvelle, le départ du groupe lent est décalé de 30 minutes (7h30), les rapides partiront comme prévu à 8h. Au menu du petit déjeuner: œufs, pancake, thé, café, corn falkes et lait, Maryline me refourgue son œuf, elle me nourrit depuis hier ma parole!
Cette étape me stresse un poil. Patrick Michel, il y a quelques jours avait insisté sur l'enneigement possible du Kongdé (4150m) suite au mauvais temps subi en première semaine. Il y a un passage taillé à même la falaise qui peut être givré. Lors du briefing hier, Dawa a bien insisté sur l'utilisation des spikes, et de prendre notre corde et mousqueton. Si l'on part ce matin, cela signifie que les éclaireurs ont fait leur boulot. Néanmoins, je ne peux que constater l'air soucieux de Dawa la veille.
L'étape du jour vers Thamé nous évite la route classique vers l'Everest Base Camp (à contrario du parcours des marcheurs). Nous obliquons brusquement sur la gauche pour nous prendre 1400 m D+ dans la tronche. C'est pour le moment l'étape la plus dure que nous devons affronter (20 km, 2100 m D+). Les derniers l'an dernier ont mis entre 7h30 et 8h ! Hier, ayant tout de même bien forcé, je redouble de prudence dans cette montée brutale vers Kongdé. Le ciel est bouché, cela devient malheureusement une mauvaise habitude. Il ne pleut pas, c'est important.
Je tourne à 10 -12 m/min pourtant je suis dans les derniers, toutefois les coureurs restent relativement groupé car avec ce pourcentage de pente tout le monde reste à portée de vue très longtemps. Au bout de 2h de montée, mes quadriceps me crient pitié malgré ma vitesse modérée... je saisi mes fidèles bâtons quechua raid 700.
nous avons quitté le fond de la vallée du khumbu et montons en direction du Kongdé à l'ouest...c'est pentu !
la vallée derrière nous (phakding, lukla encore sous les nuages) Rodolphe, Hervé et Vincent font une pause
Thierry a mis son Buff en protection, l'altitude engendre un air sec, propice à l'irritation de la gorge (toux d'altitude)
Je bouts intérieurement de cette météo qui me prive de paysages. Mon APN Olympus baroudeur (u720SW) performe très mal dans ces conditions, le moral est un peu atteint. Je suis en mode "bulle", en langage plus technique "étroit interne", je suis concentré sur moi même et sur certaines parties du corps (quadriceps, respiration). Vous l'avez bien compris mon mode habituel est plutôt le "large externe": concentration sur les paysages dans leur globalité (les sportifs de haut niveau utilisent beaucoup ces modes, ils passent de l'un à l'autre continuellement volontairement, cela repousse efficacement le seuil de la douleur). Pour ma part si je pouvais rester en mode photo tout le temps..
Derrière nous, à la faveur d'une éclaircie, nous réalisons avec une admiration mêlée de déférence que nous marchons au coté de géants. Je crois que, sans nous en apercevoir à travers la bulle ouatée du brouillard, nous avons basculé dans un autre monde.
Je fais cause commune avec Thierry en cette fin de montée, nous sommes à plus de 4000m. Tout va bien, pas de mal de tête, ni de jambes. Nous faisons une pause mars au sommet sur un léger plateau. Nous nous gaussons de l'hôtel de luxe (Kongdé yéti mountain home) construit ici à grand frais pour touristes fortunés par les tout puissants héritiers de la yéti corporation. Il y a un petit héliport pour vous éviter l'exténuante montée, et une vue au nord est sur l'Everest (hum...quand il fait beau), il y a aussi des chambres pressurisées pour ne pas perdre son temps à s'acclimater...D'ailleurs je vais faire de ce pas la suggestion à Dawa et Annie de nous faire prendre la chaine de lodge Yéti à Lukla, Namche, Phakding, Kongdé pour la prochaine édition. Les coureurs du solukhumbu 2011 vont très certainement me vénérer pour le doublement de leur prix d'inscription !
Philippe est avec nous sur ce point très scénique, toujours la caméra HD au poing. En général, Philippe, Julien, Alain (le doc) partent aux aurores afin d'être bien placé sur un lieu scénique pour notre passage. Alain, quant à lui, s'arrange avec Pascal pour naviguer dans le milieu haut des coureurs, Pascal restant en arrière du peloton (ils permutent sur les étapes). Pour faire bonne mesure, sachez que Vincent le secouriste, avec ses bonnes capacités physiques fait l'électron libre entre les deux docs. Ce qui compte dans ce dispositif, n'est pas tant la distance entre les gens, mais bien le temps d'intervention. Philippe nous interview devant ce luxueux lodge. J'essaye de baragouiner un truc sensé avec l'attitude "voyez vous comment je me la pète à 4000m" , peuh même pas mal...hum pas sur que mes paroles furent si intelligibles que cela. Philippe si tu lis ces lignes...Faut pas mettre ce passage !
(Photo Raspa) le panneau indique 4250 m mais on est à 4080 m, (ils ont trop l'habitude de gonfler les prix)
Nous passons versant nord après avoir traversé le petit plateau, Pierre et Daniel du second groupe sont là. C'est une jolie descente douce en balcon qui nous attend, il y a un peu de neige qui commence à fondre rendant un peu glissant les appuis. Alors il ne faut pas trop se retenir, à ce petit jeu, je laisse mes jambes faire et double allègrement Pierre et Daniel. J'aurais peut être du faire appel au cerveau à ce moment , or celui ci est bien trop occupé à regarder les montagnes, le chien sur trois pattes qui nous suit depuis Phakding (ou plus, car je vais le retrouver entre Namche et Lukla, ca devait être le chien d'un porteur ou quelqu'un du staff), les choukars locales (grosses perdrix tibétaines) absolument pas farouches.
Nous arrivons dans la fameuse partie taillée dans la roche de la falaise, les marches sont bien dessinées...mais disparaissent sous une épaisse couche de neige et de glace. Le signalétique danger sous la forme d'un petit panneau a été mise par les traceurs. Il va falloir être extrêmement prudent à présent, les bâtons sont une aide très précieuse pour prendre des appuis supplémentaires et sentir l'état de la neige. Alain s'est posté à cet endroit stratégique, il a la rude tache d'estimer notre vigilance à cette altitude, on échange quelques mots, on se rassure. La bonne nouvelle c'est qu'il ne neige pas (sauf quand le vent fait voler quelques poussières de neige des sommets), et que je ne vois pas de corde supplémentaire. A priori pas besoin de nos longe et mousqueton.
Je fais pas mal de clichés dans cette partie, j'attends 10 bonnes minutes que des coureurs arrivent pour faire la photo qui va bien, c'est Daniel qui sera mon sujet ;-)
Le sentier a été bien équipé avec des filins métalliques, il fut pendant la récente guerre, détruit de nombreuses fois et reconstruit tout autant de fois par la guérilla maoïste.
Il ne faut surtout pas tomber ...
dès que le sentier se révèle trop dangereux il faut mettre les spikes, chose que je n'avais pas fait jusqu'à présent (j'aurai du les mettre des le panneau danger). D'ailleurs Dawa a fermement rappelé à l'ordre les coureurs n'ayant pas pris la peine de les mettre pour quelques poignées de secondes (bilan 1h de pénalité pour les prochains récalcitrants).
Je m'arrête pour manger un mars, espérant que mes super pouvoirs de la veille coulent de nouveau dans mes veines. Mais ce n'est que lassitude et faiblesse qui agitent mollement mes jambes. Pendant que je maudis l'effet de l'altitude sur mon organisme (et il faut l'avouer aussi mon inconséquence d'avoir fait l'insouciant dans la descente en balcon peut après le yéti moutain lodge). Le train Béa Didi passe, Bernard, à qui je devais vraiment faire pitié, m'offre généreusement ses cacahuètes et autres noix de cajou. Je repars peu après, et j'essaierai de m'accrocher à Pierre V. tant bien que mal. Il reste encore 5 km à mon GPS, Ce qui represente plus d'une heure et demie à mon allure actuelle.
la rivière Bote Koshi et le village de Thamo, nous sommes dans une vallée à l'ouest de la vallée du Khumbu, pour retomber sur cette dernière il faudra passer successivement deux cols à plus de 5000 m (rinjo pass et cho la pass)
La fin de l'étape, bosselée à souhait, est loin d'être facile. Je l'ai fait vraiment en puisant mentalement dans mes ressources (l'image mentale de la piscine du Shanker m'a bien aidé). J'en oublie toute prudence et veux juste finir au plus vite. Je rattrape Philippe qui doit se dire mais quelle mouche l'a piqué ? Je franchis le dernier kilomètre en courant et des la ligne passée je jette mes bâtons de rage au sol et sort un cri primal sous les yeux interloqués de l'équipe des chronométreurs. Dawa (le neveu) me prend dans ses bras tant il sent que j'ai tout donné sur cette fin. 6h de course pour 19,8 km sur mon GPS, tout est dit.
Le responsable de l'attribution des lodges me désigne le Thamé View, dommage j'aurais bien aimé être dans le lodge de Norgay Tenzing (Sherpa Tenzing) ou bien celui de Apa Sherpa. Ces noms ne vous disent peut être pas grand chose mais ici a Thame on se rend compte que les géants ne sont pas que des montagnes. Thamé village a le don d'avoir des enfants qui atteignent le sommet des dieux.
Le thamé view lodge est un superbe lodge, le plus beau jusqu'à présent (je sais je l'ai dit hier aussi), nous dégustons au chaud des frites, soupes, thé à volonté. Une douche chaude (400 roupies) la meilleure du trek pour le moment. Nos affaires sèchent (ou brulent n'est ce pas Didier ?) devant le poêle central. Ce dernier utilise de la bouse de yak très bien adapté pour bruler. Nous sommes dans le parc national de Sagarmatha et la collecte de bois pour un usage de chauffage est strictement interdit. Nous comatons tous devant la télévision (Asian game à Guangzhou), gymnastique et football en attendant le briefing tandis que le mauvais temps s'installe dehors. J'encourage bruyamment Christian de Tahiti qui finit en plus de 8h. Quelle volonté! Dawa n'est pas passé finalement, on m'a dit qu'il se serait endormi sur son repas...
Ce n'est pas trop grave, car demain c'est 10 km seulement en légère ascension pour rejoindre Langden. Ça devrait le faire. Je me couche rapidement en trouvant incroyable que je me trouve dans le village de Tenzing, le personnage qui est actuellement entrain de sécuriser la cascade de glace non loin du Feu d'enfer, de "Mike's horror", "Hillary's horror" et "l'atom bomb area"...Vous avez compris que je suis en plein dans le livre de John Hunt et que nous sommes en 1953. Dans notre aventure presque 60 ans plus tard, on a eu notre Dawa's horror ;-).
Akuna
Les photos de l'étape sont ici