Friends, shadow of beauty, wonderland and the shrike thorn tree (4)

Publié le par Akuna

Manao ahoana ami(e)s trailers,

Avant de lire cet article allez voir ici la première partie

Tout baigne... Depuis la base de vie de Champex, le trio (formé depuis Arnuva) Vincent, Stéphane et moi savons que nous avons le bon rythme. A trois cerveaux, nous ne manquons pas de bien nous hydrater, se sustenter et même de planifier nos arrêts à la minute près au pit stop. Règle d'or, partir du ravito au moins 30 minutes avant la barrière d'élimination pour se réserver un matelas de minutes en cas de coup dur. Les 15 à 30 minutes d'avance servent au "free time", moi c'est plutôt du sommeil depuis que "wonderland" parasite ou embellit ma vision, de l'alimentation, Stéphane et Vincent recherchent prioritairement des massages.


Notre triumvirat est synchrone à la fois en montée, ou nous sommes puissants et réguliers, au contraire de la descente ou nos blessures respectives rejaillissent et brident malignement notre allure. Cela fait 12h maintenant que je marche sous AINS, l'obscurité et l'effet antalgique, à l'unisson, commencent à s'effacer peu à peu. Malgré cela l'humeur est bonne car, tel un convoi lancé sur des rails, il n'y a pas de défaillance morale à l'horizon. Reste à gérer le physique, mais à priori tout les trois nous sommes convaincus de la réussite de l'expédition...

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Damned! encore une barrière ...


Vallorcine, 10h10 de dimanche matin, près d'une heure d'avance sur les barrières. Le ballet continue, boire manger dormir ne serait ce que 5 minutes... Tibichique, Francoise, Papet et ...Papatrail sont là, ils nous encouragent, nous dorlotent...que d'espoirs, fondés ou non, placés en nous. Cela me rend euphorique, et très, trop ?, optimiste.

Jacqueline s'enquiert de mon genou, je lui dit que la douleur est présente seulement en descente, assez tolérable. Elle me propose de reprendre de l'ibuprofène, chose que je refuse poliment. 17 km à tenir, cela me parait faisable malgré l'ajout de la dernière difficulté du jour la superbe montée de la Flégère.

Avant de passer le col des Montets, nous nous faisons déposer par des randonneurs avec leur sac de 15 kg sur le dos, une équipe de la PTL (La Petite Trotte à Léon, 250km 18 000 mD+)!  Nous soufflons avec respect et essayons de profiter de leur aspiration sentant bon l'expérience et l'esprit originel de l'ultratrail.

UTMB 2008 (408) 

Tandis que Papatrail, tel un cabris ressuscité, nous devance dans la single technique de la Flégère, notre trio remet les gaz comme dans Bovine 13m/min c'est inespéré. Nous prenons le temps de savourer la vue superbe, même si tout d'un coup, les coureurs tassés depuis une nuit par l'épée de Damoclès, engorgent le single technique et pictural de la Flégere. Cette pause fut un régal pour les yeux et l'esprit, un moment fugace ou l'objectif d'avancer sans comprendre n'existait plus.

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Un picotement, un doute, un genou...trois détails qui fêlent la bulle de lumière et d'espoir qui m'habite. Bienheureux les fêlés car ils laissent passer la lumière...un proverbe bien connu sur l'UTMB. J'ai l'impression inverse ici, je rentre brusquement dans un monde plus sauvage, sombre et dur, les derniers mètres de l'ascension sont pénibles et anxiogènes. C'est la première fois, que je souffre tant dans une montée, j'appréhende la descente. Pour le moment, notre trio fait des calculs mentaux sur notre allure et Stéphane réalise à tort ou à raison que nous sommes un peu court (sic). Notre belle unité explose en plein vol, car je n'ai même pas le temps de lui expliquer mon combat intérieur, il s'envole littéralement, poussé par une volonté irrépressible d'en finir dans les temps. Je suis circonspect sur notre matelas de minutes envolées, je ne nous vois pas hors du rythme.

Vincent ne peut que constater les dégâts, sur le chemin en balcon, je n'arrive pas a courir, je suis sur une jambe, mon visage est ponctué de rictus. Je lui avoue que ce n'est pas la peine de m'attendre. Je lis dans ses yeux le remord de laisser un compagnon en galère, qui par ailleurs, les avait tiré lors de l'ascension du grand col ferret.

A force d'insister, il cède, me laissant seul avec ma frustration. Je me sens tel un gosse à qui l'on a enlevé une glace juste sous son nez. Il me reste 9 km à couvrir en 3h dont une grosse partie en descente, à tête reposée cela parait faisable mais le temps et distance semblent se replier sur eux même et font des nœuds dans ma conscience. Je rentre dans un monde un peu effrayant à mon gout.


UTMB 2008 (436)

 Au loin la Flegere, dernière photo avant la zone du combat intérieur

 

 

QUI ES TU ?

DOULEUR, je ne te céderai pas, vois ! je marche, je cours et je te méprise...

JE SUIS LE GRITCHE

une vague sourde, profonde et puissante me remplit l'échine, un rideau de plomb s'abat sur mes sens.

PITIÉ...

je supplie la douleur de s'arrêter mais, telle une cage aux barreaux épineux, ou que j'aille elle m'entoure et m'étreint. Je suis sur le bas coté, tête baissée comme dans une prière muette, des phosphènes plein les yeux, à attendre le reflux de la marée. Je vois la Flégère au loin, mais simultanément je vois aussi l'océan de douleur et les vagues à affronter. Je suis abattu, anéanti par la peur de devoir affronter le gritche: seigneur de la douleur (shrike * en anglais), et de devenir un de ses trophées embrochés vivant sur les branches de l'arbre ultime.

J'ai juste envie de pleurer de dépit, d'arrêter ici, tout m'était promis et la course m'a tout repris. Je repense à Dawa Sherpa et sa philosophie de s'arrêter quand le corps ne veut plus. Hélas, je n'ai pas encore sa sagesse. Je repense aux abandons de Papatrail et à tous nos formidables supporters. Après le temps de l'apitoiement du petit enfant viens le temps du guerrier, de l'homme préhistorique, la colère, la révolte submergent le moi civilisé et affable qui domine habituellement. L'adrénaline afflux, et me porte au combat intérieur, mon champ de vision et pensée se resserrent. La douleur sourde a depuis longtemps envahi tout mon genou, ma colère me permet de surnager en me maintient à flot. Cette colère déborde à l'extérieur, je suis extrêmement agressif, prêt à charger sur la moindre contrariété qui empêcherait ma progression ou qui détournerait la douleur vers une autre partie de mon corps.

Avais-je connaissance que je pourrais détruire irréversiblement mon articulation ? Je ne sais pas, peut être...
mais j'étais au delà de la raison, en territoire ou seuls de puissants sentiments simplistes issus du cerveau
limbique
survivent. Si ma casquette vissée sur le crane, cache mes yeux embués de larmes de colère, des rictus et grimaces défigurent ma face. Je me fais l'effet d'être une bête blessée en cage avec son bourreau. Mes bâtons sont de précieux alliés, je m'en sers comme béquilles et je ne pose quasiment pas le pied gauche par terre. Mon allure d'escargot asthmatique ne m'autorise aucun repos, cela va se jouer à quelques minutes.

Mes triceps sont en feu, alors je trottine quelques mètres en attendant que l'onde me couvre et me vrille le cerveau, ma rage, mon obsession de finir servent de brise vague. Enfin la descente, ou plutôt je devrais dire hélas, se servir des bâtons comme béquille est encore plus épuisant. Le temps file je crois, des coureurs semblent me passer, les sons extérieurs apparaissent étouffés. Je ne suis plus qu'une succession de gestes minimisant l'emprise du gritche. Le doute de ne pas pouvoir le faire s'immisce lentement mais surement. Mon portable n'arrête pas de sonner depuis 1h je viens de m'en rendre compte. C'est Jacqueline qui vent à ma rencontre, j'ai du mal a parler tellement je ne suis plus que sentiments contradictoires. J'ai peur de l'envoyer balader mais sa présence m'appuiera certainement. J'essaye de lui expliquer la situation, je crois que j'arrive à m'exprimer au bout de plusieurs tentatives...

 Elle prend la bonne décision et vient à ma rencontre, la jonction est faite à mi pente. Je sens que je vais être hors délai. Je dois prendre des précautions énormes pour parler, répondre à Tibichique sans crier, j'ai tous les capteurs saturés et le moi affable doit maitriser sans cesse le moi animal du cerveau limbique en prise direct avec mes nerfs en pelotes. Ma kiné se révèle une précieuse conseillère en m'indiquant de descendre en arrière...

 En arrière ? bon sang je tenterai même de marcher sur les mains pour échapper au gritche.  Miracle, marcher en arrière me fait avancer vers mon but et reculer dans le temps. Un temps si proche et si loin à la fois, ou la douleur n'obscurcissait pas mon esprit. Bénie sois tu Tibichique ! Le combat, la peur, l'attente des vagues brulantes ne sont plus. Je peux enfin penser clairement, libre de ces sombres sentiments. Je revis, je vois des gens et non plus de vagues silhouettes, j'arrive sur la partie bitumée... Je n'y crois pas je vais arriver dans les délais, le coup de fil du dingo m'encourage et me dit qu'il y a des chances que je finisse sur l'estrade.

 Serait ce les réminiscences de mon expiation sur l'arbre de la douleur ? Toujours est il que je n'ai pas envie de voir la foule et encore moins l'estrade. C'est tellement éloigné, étranger au combat intérieur de ces dernières heure, j'en suis sorti lessivé, impossible de sourire ou d'exprimer tout sentiment. Une idée folle me prend ..si je continuai de l'autre coté de Chamonix ? J'ai juste envie de panser/penser mes blessures...

Mais évidemment, la foule ferait chavirer les cœurs des plus endurcis, et même les plus anesthésiés comme mon cas. Ce fut comme dans un rêve lointain, je me vois tel un automate dans cette grande ligne droite, acclamé par une foule tel un héros moderne, lançant quelques signes de la main. J'ai le sentiment d'être vraiment à coté de la plaque, mon esprit est ailleurs..... encore dans l'ombre de la beauté j'imagine. Temps total 45h45, à 15 minutes près....P...n de gritche!

Photo_de_GrosNec_1 

UTMB 2008 grosnec_1 

 [La suite dans the shadow of beauty...]

 * le Shrike, est un homonyme de pie-grièche, en français, qui est un oiseau de la famille des laniidae (la racine latine signifiant boucher) qui ont l'habitude d'empaler leurs proies sur des épines ou des branches pointues d'arbustes avant de les manger, exactement comme le monstre du roman.

  1. Wonderland (Miss Fouly)
  2. the Friendship
  3. the Shrike thorn tree
  4. the shadow of beauty

 Une sélection d'images commentées sur la galerie flash pour une lecture, non plus thématique, mais plus chronologique.

Akuna

Publié dans Trail

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